« Sans engagement républicain et de gauche, il est difficile de s’épanouir en tant qu’enseignant »
Il vient de sortir « Ce qu’il aurait fallu dire » aux éditions Fayard. C’est l’histoire de Victor, un jeune enseignant agrégé qui vient d’être nommé à Friville-Escarbotin, dans la Somme. On y parle de son mépris un peu hautain pour la province et de sa déprime pour tout ce qui s’oppose à son idéal bourgeois. Alexis Anne-Braun est l’invité de la Midinale.
Sur le personnage principal du livre
« Il y a beaucoup de moi dans ce personnage [Victor]. »
« Le personnage est très conscient d’appartenir à une bourgeoisie intellectuelle. Il essaie de dépasser cette vision méprisante du milieu scolaire qui pour plein de raisons est un lieu dysfonctionnel. »
Sur les « ploucs qui votent FN de la baie de Somme »
« Il y a la fois un vote communiste très fort et dans le même temps une montée du Front National. Mais même cette analyse politique ne dit rien des vies qui s’y jouent. »
« L’absence de réponse de Victor n’est pas du tout un consentement à une analyse qui serait seulement, rapidement politique, de la situation de la Picardie. »
Sur les zones pavillonnaires et le regard de Victor sur la province »
« Je décris Victor comme quelqu’un qui a grandi dans une famille de classe moyenne aisée d’une région plutôt favorisée puisqu’il a grandi en Alsace à Strasbourg. Il a un habitus de gauche, ses parents étaient abonnés à Télérama et déjà adolescent il le lisait. »
« On le voit avec les gilets jaunes : cette révolte du peuple est liée à une nouvelle forme d’urbanisation. »
« En lisant Télérama, Victor découvre cette France qu’il ne connaissait pas en habitant le centre ville de Strasbourg. »
« Victor essaie de transformer cette vision très dépréciative de cette France périurbaine. »
« Il essaie de voir comment on peut se réapproprier des paysages qui sont inhumains parce qu’inhabitables. »
« Je reste persuadé que [ces zones pavillonnaires] créent une forme de vie qui est peu propice à l’épanouissement au développement d’une culture politique et de solidarité qu’il pouvait y avoir dans ces villages ouvriers. »
« C’est pas un hasard si le Front national commence à récupérer ces zones qui sont marquées par le chômage mais aussi une forme urbaine très désocialisante. »
Sur les transformations possibles de ces zones
« C’est un livre qui est porté par un sentiment géographique très fort avec une description qui se veut la plus précise des paysages. »
« Un des recours possible pour changer son regard sur ces choses-là, c’est de passer par la médiation de l’art : la photographie, le cinéma ou la littérature. »
« Victor le dit : l’art peut nous aider à faire des paysages les lieux d’une forme de beauté contemporaine. Je ne sais pas en revanche si cette beauté est compatible avec les solidarités politiques et sociales dont je parlais. »
Sur la vocation d’enseignant
« Être enseignant, c’est un engagement parce que les conditions du métier d’enseignant sont difficiles, surtout dans les premières années. »
« Si on n’est pas porté par un engagement républicain, de gauche, c’est très difficile de s’épanouir dans ce métier. »
« Victor a l’impression d’être sur le front alors que ses amis, eux, ne sont pas sur le front. Il y a un décalage. Victor questionne son engagement et se demande s’il a les épaules assez solides pour cet engagement. »
Sur la crise du métier d’enseignant
« Le terme de vocation est lié à une conception du métier qui n’existe plus vraiment. »
« Chez les jeunes générations, le métier d’enseignant n’est plus un métier qui fait rêver. »
« C’est un métier qui est dévalorisé. »
« L’idée de vouloir devenir enseignant a longtemps été une façon de s’élever socialement : aujourd’hui, il n’y a plus la reconnaissance ni sociale ni économique. »
« Ceux qui continuent d’avoir cet engagement sont des gens admirables. »
« On est tous responsable de l’échec du système scolaire. »
« Aujourd’hui, il semble qu’il y ait une vraie résistance de la part des enseignants à la loi de l’école de la confiance parce que beaucoup d’entre eux ont encore une conception très disciplinaire de leur métier (…) or aujourd’hui les réformes vont plus dans le sens d’un formatage. »
« Il y a une vraie fracture entre le corps enseignant et les réformes de l’Éducation nationale. »
« Les profs sont des éducateurs et plus de propriétaires d’un savoir qu’ils sont sensés transmettre et partager. »
Sur la mobilisation des enseignants
« Quand les enseignants se mettent en grève, ça ne dérange personne et ça amuse les élèves qui n’ont plus cours. »
« Les revalorisations salariales [annoncées par Jean-Michel Blanquer] sont anecdotiques parce qu’elles étaient promises depuis longtemps, l’indice était gelé depuis des années. Ça n’est pas vraiment un progrès social parce qu’on l’attendait tous. Et il y a la peur que ces augmentations soient conditionnées à une augmentation du temps de travail, ce qui est absolument inimaginable. »
« Les fonctionnaires sont par ailleurs très impacts par la réforme des retraites. »