Plan de relance et budget européens: excellente intervention de Philippe Lamberts, Pdt des Verts/ALE
25 juil. 2020 – Parlement européen – Débat sur les conclusions de la réunion extraordinaire du Conseil européen du 17 au 21 juillet 2020: plan de relance et budget pluriannuel européens: excellente intervention de Philippe Lamberts (Greens/EFA-Écolo, BE), Président du groupe des Verts/ALE au Parlement européen – 23.07.2020 – Parlement européen, Bruxelles, Belgique.
“Ils s’appellent Mark Rutte, libéral néerlandais, Sebastian Kurz, chrétien-démocrate autrichien, Mette Fredriksen, Sanna Marin et Stefan Löfven, socialistes scandinaves. Ils aiment s’appeler les «frugaux»; je dirais plutôt les «radins».
Pour eux, l’Union européenne se résume à une pompe à fric que leur pays alimente toujours trop. Face à cette crise sans précédent, elle devrait tout au plus servir d’intermédiaire entre quelques États membres en difficulté et les marchés financiers, sans voir qu’en procédant de la sorte, on provoquerait une explosion des tensions au sein de l’Union monétaire des tensions qui pourraient lui être fatales.
Pourtant, s’ils étaient honnêtes, les radins expliqueraient à leurs concitoyens combien leur pays a bénéficié – et bénéficie encore – de l’intégration économique européenne, et qu’il est donc juste que leur contribution au budget européen soit à la hauteur de ces bénéfices. Mais très cyniquement, ils préfèrent garder le beurre du marché intérieur sans en payer le juste prix.
Ils s’appellent Orbán Viktor, chrétien-démocrate hongrois, ou Madeusz Morawiecki, conservateur polonais. On les appelle souvent les «illibéraux»; je dirais plutôt les «pseudo-démocrates». Pour eux, l’Union européenne se résume à une pompe à fric au profit de leur pays, de leurs oligarques, voire d’eux-mêmes.
Mais s’ils étaient honnêtes, les pseudo-démocrates expliqueraient à leurs concitoyens combien leur pays a bénéficié – et bénéficie encore – de l’intégration européenne, et que le respect des engagements pris lors de leur adhésion, en particulier le respect de l’état de droit et des libertés, n’est que la juste contrepartie de la solidarité. Très cyniquement, ils préfèrent pourtant s’accaparer l’argent du beurre en exigeant en prime le sourire de la crémière.
Contrairement à ceux-là, une majorité de chefs d’État et de gouvernement a fort heureusement saisi la gravité du moment. Deux cent mille Européens ont déjà payé de leur vie le COVID et l’impact de la pandémie a fait exploser les inégalités en Europe. Elle nous frappe à un moment où le temps commence à manquer pour relever le défi climatique et où, face à la Chine de Xi Jinping, aux États-Unis de Trump, à la Russie de Poutine ou à la Turquie d’Erdoğan, l’Union européenne se sent bien seule pour défendre la liberté, l’état de droit et un ordre mondial basé sur des règles négociées.
Mais voilà, les 27 chefs d’État ou de gouvernement devaient décider à l’unanimité (…). Les propositions la Commission Von der Leyen pour répondre à la pandémie en sont sorties mutilées: leur montant, déjà insuffisant, a été amputé de près d’un quart, et ces amputations touchent, comme l’a souligné Charles Michel, d’abord les initiatives menées en commun et les plus porteuses d’avenir. Et une fois de plus, alors que les besoins d’investissement public n’ont jamais été aussi criants, le budget européen est à nouveau réduit, en particulier dans ses dimensions liées au Green Deal. À titre d’exemple, c’est le fonds de développement rural, la composante la plus verte de la politique agricole commune, qui est sabré de moitié.
Et comment peut-on concevoir, à l’heure où le monde s’inquiète d’une deuxième vague de contamination, que les dirigeants européens coupent drastiquement dans les programmes de recherche ou de santé publique? Cerise sur le gâteau: les radins ont obtenu de contribuer encore moins que par le passé à ces investissements .
Du côté positif, nous nous réjouissons que l’objectif de consacrer 30 % des dépenses européennes à la lutte contre le dérèglement climatique ait été adopté. Mais attention, sans mécanismes d’exécution et de contrôle véritablement contraignants, le risque est que le maquillage l’emporte sur la réalité. Sur le respect de l’état de droit par les bénéficiaires, je salue la discussion à laquelle vous avez fait allusion, Monsieur le Président, mais le mécanisme adopté demeure flou, et rien ne garantit qu’il sera opérant.
Malgré tout cela, l’élément essentiel de l’architecture proposée par la Commission demeure: pour la première fois, l’Union européenne financera par un emprunt commun des investissements massifs. La question de leur remboursement, et c’est un autre angle mort du sommet, demeure très largement irrésolue. À nos yeux, il faudra enfin, oui, Monsieur Bay, que les États membres concèdent à l’Union le droit de lever des impôts, en particulier sur ces prédatrices que sont devenues les entreprises multinationales (et pas seulement celles du numérique) et sur les activités polluantes. (…)”
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