Eric Fassin « Nos gouvernants répondent à une politique de la terreur par une politique de la peur »
2 nov. 2020 – Le sociologue Éric Fassin, récemment menacé de mort par un néonazi, vient de publier une tribune sur Mediapart dans laquelle il pose cette question : qui est complice de qui ? Il y dénonce aussi la remise en cause des libertés académiques. Il est l’invité de #LaMidinale.
Sur le climat politique, médiatique, intellectuel « Ça fait des années que je m’inquiète. » « La démocratie est précaire en soi. Ça n’est pas une nature démocratique de nos sociétés mais un combat constant pour faire exister la démocratie un peu plus. » « Nous vivons un moment très particulier, très dangereux. Je crois que chacun le sent bien, il y a quelque chose d’oppressant dans le climat actuel : on l’a vu avec la répression néolibérale contre des manifestants ; on l’a vu avec la répression dans les banlieues depuis des années ; on l’a vu aussi avec la répression qui se joue aujourd’hui contre le monde intellectuel. La convergence de ces différents combats, contre les minorités, contre les militants et contre les intellectuels critiques, nous dit quelque chose de très inquiétant pour la démocratie qui est plus précaire que jamais en France. »
Sur les menaces de mort « Si j’ai choisi de parler des menaces de mort dont je fais l’objet, c’est parce qu’il y a quelque chose de significatif. Ça n’est pas la première fois que je suis l’objet de ces menaces de mort, mais c’est la première fois que la personne signe de son nom. Ce néonazi se sent autorisé à le faire et il n’a pas peur. » « L’extrême droite se sent aux portes du pouvoir et elle sait bien qu’elle ne risque rien. On l’a vu avec génération identitaire qui a pu gesticuler avec un sentiment d’impunité. » « Il y a une folie en ce moment et elle est bien politique. Quand les fascistes se mobilisent, ils savent ce qu’ils font. »
« Le roman de Michel Houellebecq, Soumission, est un roman qui est une sorte de dystopie où l’Islam prendrait le pouvoir, mais qui revient à masquer la réalité : c’est que l’extrême droite est aux portes du pouvoir. On veut nous faire croire dans un roman que le problème serait qu’il y ait une majorité de musulmans qui seraient prêts à faire élire – par la faiblesse de complices qui seraient de fait des islamogauchistes – un candidat islamiste. Très clairement, ça n’est pas le risque principal en France. Ça peut l’être dans d’autres pays mais pas en France. » « Dans Soumission de Houellebecq, c’est un personnage d’universitaire qui est au centre. La soumission, c’est d’abord selon l’extrême droite et michel Houellebecq, la soumission des intellectuels. »
Sur le débat public impossible « Il n’y a aucune symétrie et la raison pour laquelle il n’y a aucune symétrie c’est que les gens comme moi ne sont pas en train d’attaquer nommément tel ou tel en le menaçant. Nous critiquons des idées qui nous semblent dangereuses. » « Il n’y a pas d’équivalent de Marianne ou Le Point – qui s’en prennent aux islmogauchistes – du côté de ceux qui sont accusés d’islamogauchisme. On n’a pas la même force de frappe de haine qui est propagée par ces magazines. » « Jean-Michel Blanquer s’en prend à la gauche, à Mediapart, à la France Insoumise, aux syndicats comme Sud ou l’Unef – pour avoir une porte parole voilée. » « Le président de la République lui-même parle, dans Le Monde, des intellectuels, des universitaires, qui mettraient en danger la communauté nationale. » « La terreur, c’est ce que veulent le terroristes et la terreur n’est pas très bonne conseillère politiquement. »
« On répond à une politique de la terreur, qui est celle des terroristes, par une politique de la peur, qui est celle de nos gouvernants. » « Il est difficile de se faire entendre. C’est une raison pour parler davantage. » « On nous avait dit que la France universaliste ne connaissait pas la question raciale. De même que la question du genre n’existait pas en France, qu’elle était étrangère, américaine. Ce qui me frappe, c’est que dans un domaine comme dans l’autre, ça a bougé : sur les questions de genre – on en parle malgré toutes les mobilisations – et la question raciale – on en parle aussi avec les personnes concernées. » « Maintenant, quand les personnes concernées parlent, on les accuse de séparatisme. »
Sur l’appel à l’union nationale « L’union nationale est un discours de guerre. Il est important de ne pas entrer dans cette rhétorique de la guerre. Sinon ça encourage de tous ceux qui voudraient croire à un conflit des civilisations. » « On a un ministre de l’Intérieur qui nous parle d’ennemi de l’intérieur – des étrangers, d’autres, Français. Ça ne veut pas dire qu’on est en guerre. Il ne faut pas tout confondre. On ne va pas envoyer des chars contre les terroristes. On na va pas envoyer des chars contre les pays arabes qui voient des manifestations contre la France. On n’est pas en guerre. On est en démocratie. Il est très important qu’il y ait des débats. La démocratie, ça n’est pas le consensus, c’est le dissensus. »
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