« La loi Recherche donne à voir une démocratie en piteux état »
30 oct. 2020 – La loi de programmation pluriannuelle de la recherche effectue sa première navette parlementaire. Elle vient d’être “débattue” au Sénat. On en parle avec le chercheur en sciences politiques au CNRS Samuel Hayat et la maîtresse de conférences en histoire des sciences et de la médecine à l’EHESS Christelle Rabier, tous les deux membres du collectif Facs et labos en lutte. www.regards.fr
Sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche
Samuel Hayat
« Le problème de cette loi, ce n’est pas tant ses prémisses, c’est-à-dire l’idée qu’il y a un sous-financement extrêmement grave dans l’université et la recherche publique en France ou l’objectif d’atteindre 1% du PIB, mais c’est le calendrier et la répartition de l’argent. » « La loi parle de 25 milliards d’euros sur 10 ans mais dont 99% de l’investissement financier se fera à partir de 2022, c’est-à-dire une fois que le gouvernement actuel ne sera plus au pouvoir. » « Les 25 milliards d’euros promis ne sont pas pour les deux éléments centraux qui permettraient de relancer l’université et la recherche publique en France, c’est-à-dire des postes de fonctionnaires pérennes pour exercer dans de bonnes conditions et des moyens récurrents de financement pour les laboratoires de recherche. Au lieu de cela, on aura de l’argent pour des contrats précaires et de la recherche par projet, c’est-à-dire soumise à des impératifs qui ne sont pas ceux des chercheurs. »
Christelle Rabier
« Sur les 25 milliards d’euros, le Sénat, en Commission des finances, a expliqué qu’en fait, c’était plutôt 7,5 milliards… » « La loi sert à attaquer le statut de la fonction publique de l’enseignement supérieur et de la recherche. » « Depuis février dernier, il y a un diktat systématique à tous les niveaux du processus législatif avec l’absence de consultation des instances nécessaires, au point où je pense que l’on peut parler de déni de démocratie. » « La loi est mauvaise car elle ne répond à aucun des problèmes mais, en plus, elle est anti-démocratique. »
Sur l’idéologie du gouvernement vis-à-vis de l’enseignement supérieur et de la recherche
Christelle Rabier
« L’idéologie de base, c’est qu’il faut sélectionner les meilleurs qui auront les honneurs symboliques et les honneurs matériels et financiers. » « En sélectionnant les meilleurs, on ne réfléchit jamais à la question de la formation et de la transmission des savoirs et des savoirs-faire. »
Samuel Hayat
« Il y a aussi un aspect gestion de la pénurie. » « Du côté des penseurs néolibéraux qui inspirent les politiques actuels, avoir une formation d’enseignement supérieur va augmenter l’employabilité, le salaire auquel les personnes qui l’ont reçue vont pouvoir prétendre et il est donc logique que les gens paient pour cela. » « Il y a une logique forte au sein de l’appareil d’Etat qui voudrait que, puisque l’enseignement supérieur est un investissement, il doit donner lieu à un paiement. » « A quoi sert la recherche pour le gouvernement ? A allouer les ressources aux grands cerveaux, aux grands esprits, aux chercheurs les plus innovants. » « Si les islamogauchistes avaient des Prix Nobel, cela ne poserait pas de problème à Frédérique Vidal. » « Pour le gouvernement, il y a une volonté de transformer le service public d’enseignement et de recherche en une sorte de tamis par lequel on va récupérer la substantifique moelle de l’intelligence française : on va mettre les meilleurs étudiants en lien avec les meilleurs chercheurs pour qu’à la fin, ça crée de la croissance économique. » « Par le biais de mécanismes de la croissance endogène, on croit que l’innovation va créer de la croissance : c’est une idée très partagée par les cercles du pouvoir. »
Christelle Rabier
« L’idée de faire payer l’enseignement supérieur en France est contraire à la Constitution et notamment son préambule de 1946 qui précise que tous les citoyens ont droit à une éducation laïque et gratuite tout au long de leur vie. »
Samuel Hayat
« On est en train d’aller vers un enseignement supérieur à deux vitesses : il y a besoin d’une éducation publique donc ils gardent les cursus universitaires presque gratuits ou, en tous les cas, accessibles à tous, et à côté, on crée ce qui existe déjà : des masters professionnalisant extrêmement chers, des dispositifs de formation continue extrêmement chers… et au sein, des université, on va avoir des formations payantes et un fond de formations gratuites. » « Depuis l’enclenchement du processus de Bologne à la fin des années 1990 et la création d’un espace européen de compétition des établissements publics, on va de plus en plus vers une différenciation entre des cursus payants et gratuits. »
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