Vincent Brengarth : « Notre droit est en train de devenir un droit d’exception »
17 déc. 2021 – Qu’est-ce que la lutte contre le terrorisme et la lutte contre le Covid-19 ont fait de notre démocratie ? Sommes-nous toujours en démocratie ? Vincent Brenghart, avocat et Jérôme Hourdeaux, journaliste, publient “Revendiquons le droit à la désobéissance” aux Éditions Fayard. Les auteurs reviennent et alertent sur les fondements d’une société qui accepte l’inacceptable : autoritarisme d’Etat, fichage, justice et droit d’exception. Vincent Brenghart est l’invité de #LaMidinale.
VERBATIM
Sur l’état de notre démocratie « Beaucoup de personnes critiquent une forme autoritaire de notre pays mais peu d’entre eux maîtrisent les outils et les manifestations de cette dérive autoritaire. Ce livre est un outil de réflexion à travers des exemples concrets. » « Notre droit est en train de devenir un droit d’exception. »
Sur le conseil de défense « Depuis plusieurs années, et ça avait débuté dès 2015 avec l’État d’urgence post attentat du 13 novembre, on s’est habitués à des législations qui ne relèvent plus du droit commun. » « On s’est habitués à ce que ce soit le pouvoir administratif qui prenne les décisions à la place du parlement et l’expression d’une volonté collective. » « On fait exclusivement confiance à la parole qui émane du gouvernement. » « Il y a un caractère extrêmement vertical dans la manière dont les mesures sont prises et décidées, sans dialogue possible. Il y a aujourd’hui peu de contre-pouvoirs qui sont en capacité de contester ces décisions. »
Sur la justice politique « On a construit un système qui donne une part extrêmement large au pouvoir exécutif. » « Ces dernières années, il y a une incarnation de plus en plus personnelle du pouvoir. On attend presque systématiquement la figure du sauveur, du leader (…). On l’a vu à travers les différents quinquennats : c’est une dérive qui s’est accrue. » « On est dans une impasse démocratique totale. » « Depuis le début des années 2010, on observe une accélération dans le calendrier procédural contre des figures politiques concernées par des affaires judiciaires : on prend plus au sérieux les affaires d’anti-corruption et ça a été rendu possible notamment par le Parquet National Financier (PBF). » « L’émergence du PNF est la conviction aujourd’hui que les hommes et les femmes politiques sont des justiciables comme les autres. » « On l’a vu avec ce qu’il s’est passé avec monsieur Balkany ou d’autres : on a le sentiment que la justice peine parfois à être une justice qui s’applique de manière parfaitement égale. » « Il y a aujourd’hui une forme de banalisation des mises en examen et des condamnations. »
Sur la société sécuritaire « Il y a un effet de sidération face à la menace sanitaire : le sentiment qu’il y a un enracinement de la Covid-19 qu’on en a marre collectivement. Et parce qu’on en à marre, on pense que c’est le pouvoir exécutif qui peut nécessairement avoir les réponses. » « Sur les aspects sécuritaires, on est presque biberonnés de façon permanente par certains médias, par des images d’insécurité qui nourrissent un sentiment d’insécurité – qui parfois est complètement fictif. Ce caractère fictif tranche avec l’importance qu’on y attache dans le débat public. Tout ça permet et favorise des législations sécuritaires qui donnent une priorité à une véritable militarisation de l’ordre public et de l’espace public. » « Il y a un contraste saisissant entre les effectifs policiers et les 70€ qu’on consacre par citoyen à la justice. »
Sur la criminalisation du militantisme « Il y a une question de la dépendance du procureur de la République vis-à-vis du Garde des Sceaux qui s’est peut-être jamais autant posée que ces dernières années. Ça peut avoir des avantages, on y voit surtout ses inconvénients parce que quand vous êtes le relai d’une politique pénale, vous avez une politisation de la justice. » « La politisation de la justice se voit dans la manière dont sont conduites les enquêtes. » « Il y a un outil judiciaire qui est utilisé contre cette mobilisation sociale. » « Il y a des instructions qui sont données au Parquet pour faire preuve de fermeté et pour pouvoir endiguer certains mouvements sociaux. Il faut que chacun en ait bien conscience. » « On a construit un droit d’exception qui amène une timidité des juges dans le contrôle. » « Il y a une difficulté à pouvoir appréhender le fait militant autrement que sous un aspect pénal. » « Il y a une hétérogénéité des décisions qui sont rendues. » « Certains magistrats sont totalement fermés aux mobiles militants et à l’idée même d’écouter les revendications des personnes comme s’ils faisaient un cloisonnement entre ce qui relève du droit pénal et ce qui relève de la motivation des personnes que les magistrats ont devant eux. En raisonnant comme ça, ça ne peut amener qu’à un discrédit des juges et de la justice qui a aussi une fonction sociale et une fonction d’écoute. »
La suite du verbatim est à lire sur www.regards.fr.