Véronique Decker : « Le projet du gouvernement, c’est la découpe de l’école publique »
En cette rentrée des classes après plusieurs mois sans école, crise sanitaire et vacances (apprenantes ?) obligent, que nous réserve Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale ? On en parle avec Véronique Decker, ancienne directrice d’école à Bobigny en Seine-Saint-Denis et enseignante.
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Sur l’action de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale
« Qu’est-ce que le ministre de l’Education nationale a mis en œuvre pour que l’année à venir soit la plus normale possible ? Rien. »
« Il y a des pays qui ont embauché des enseignants vacataires pour pouvoir dédoubler les classes ; d’autres ont équipé les écoliers et étudiants d’ordinateur pour restaurer un peu d’égalité devant le télé-enseignement. »
« Jean-Michel Blanquer n’a mis en place aucune formation à l’enseignement à distance. »
« Le ministre n’a réembauché ni médecins scolaires ni infirmiers scolaires pour aider à mettre en place des protocoles adaptés à chaque bâti ; il n’a même pas exigé qu’il y ait du savons et de quoi s’essuyer dans toutes les toilettes des écoles de France ! »
« La politique du gouvernement, c’est une politique de l’élément de langage : le ministre vient à la télévision pour donner au bon peuple des éléments de langage pour le rassurer. Mais le bon peuple commence à comprendre que c’est comme la pub : tout le monde sait que c’est des fadaises. »
Sur le Grenelle des professeurs voulu par Jean-Michel Blanquer
« Convoquer un Grenelle des professeurs est une bonne idée ; ce qui est étonnant, c’est qu’il n’a pas fait un Grenelle des DASEN pour les augmenter, ni des directeurs du ministères ou des recteurs d’ailleurs… »
« Tout le monde sait que les enseignants français sont parmi les enseignants les moins bien payés d’Europe mais Jean-Michel Blanquer aurait quand même besoin d’un Grenelle avec les syndicats ? Comme s’ils étaient tous très réticents au fait qu’on augmente les professeurs… Il y a quelque chose de ridicule à répéter sans cesse que les négociations sont sur la table mais qu’elles n’en bougent pas. »
Sur le rôle de l’école par rapport aux fractures sociales de notre société
« Depuis des années, tout le monde critique l’école comme n’étant pas capable de réduire la fracture sociale entre les élèves. Et c’est certainement vrai car elle manque de beaucoup de choses pour y arriver. »
« L’écart social entre les familles est bien plus grave que l’écart social entre les établissements scolaires. »
« La fracture sociale est bien plus aiguë lorsque l’école est supprimée. »
« En cette rentrée, jamais les écarts sociaux n’ont été aussi grand à l’école. »
« Un certain nombre d’enfants ont même perdu l’habitude de se lever le matin pour aller à l’école… »
« Le principal outil de l’école, c’est l’extraordinaire engagement des enseignants : on ne le dit pas assez mais l’immense majorité des enseignants ont réussi à affronter la période de confinement en faisant preuve d’une créativité et d’une inventivité extraordinaires. »
« L’école publique vit de l’engagement des enseignants et des parents membres d’associations de parents d’élèves qui font des fêtes et des lotos pour arriver à financer leur école. »
« Le minimum que pourrait faire le ministre de l’Education nationale, c’est reconnaître l’incurie de l’Etat et l’engagement des fonctionnaires de base. »
« Le projet du gouvernement, c’est de découper l’école publique, de faire la promotion de l’éducation distancielle pour pouvoir vendre du contenu et de la certification. »
Une société sans école ?
« Ce serait viable mais les parents sont en difficulté pour accompagner leurs enfants au-delà de là où eux sont allés. »
« Ce que permet l’école, c’est l’émancipation de l’enfant par rapport à sa famille. »
« Il y a de plus en plus une fracture entre des établissements scolaires élitistes payants et une école publique qui se rétrécit sur les publics scolaires les moins aisés financièrement et culturellement. »
« On est dirigé par un ministre de l’Education nationale et un président de la République qui n’ont jamais mis les pieds à l’école publique. »
« La tâche de l’école n’est pas uniquement de transmettre des savoirs ; c’est aussi d’apprendre à tous à vivre ensemble. »
Véronique Decker, ministre de l’Education nationale
« Si demain je devenais ministre, je restaurerais la médecine scolaire et les RASED pour avoir une vraie promotion de la santé et de l’hygiène publique. »
« J’augmenterais considérablement la formation des enseignants (…). Il faut confier nos enfants à des gens extrêmement bien formés (…) et les salaires qui vont avec. »
Sur la gauche et l’Education nationale
« Dans les années 2000, toute la gauche et toute la droite faisaient la promotion de la réussite scolaire. Mais c’est comme la réussite sociale, c’est une action sur une destinée individuelle donc c’est une pensée de droite. »
« A gauche, on n’est pas pour que quelques uns réussissent : on est pour l’émancipation de tous les enfants. »