11. LIBERTE D’EXPRESSION
Quels sont vos droits si vous filmez la police, y a-t-il des conseils, des choses à savoir ? Petit guide ci-dessous.
1 Peut-on filmer la police ?
Oui. Comme nous l’expliquions dans un précédent article, la règle générale est la liberté de photographier ou de filmer les forces de l’ordre. Elles ne peuvent pas s’y opposer lorsqu’elles effectuent une mission dans un lieu public, que ce soit un journaliste ou un particulier qui filme ou photographie.
Il existe cependant des exceptions à la diffusion des images (voir plus bas). Tout cela est rappelé noir sur blanc dans la circulaire n°2008-8433 [PDF] du 23 décembre 2008.
2 Un policier peut-il prendre votre téléphone ?
Non. Un gendarme ou un policier ne peut pas saisir un appareil photo ni une caméra, ou son contenu. Sauf s’il s’agit d’un officier de police judiciaire habilité par le parquet à l’effectuer. Mais cette mesure est rarissime et nécessite donc l’autorisation d’un magistrat.
Comme le rappelle la circulaire mentionnée ci-dessus, un fonctionnaire de police, soumis à des règles déontologiques strictes auxquelles il doit se conformer, ne doit pas craindre l’enregistrement d’images et de sons. A ce sujet, un représentant CGT déclarait à Rue89 :
« On peut comprendre l’agacement des confrères quand on a un smartphone sous le nez toute la journée, surtout quand ceux qui filment entravent le bon déroulement d’une intervention. »
Les collectifs contactés par Rue89 rapportent des cas réguliers d’intimidations, des téléphones arrachés et des vidéos supprimées par les forces de l’ordre.
Ce fut le cas durant le mouvement contre la loi travail, aux abords du lycée Bergson ou dans les manifs (y compris envers certains journalistes).
Que faire si, malgré tout, un policier vous empêche de filmer ?
« Légalement, il ne peut pas le faire. Mais il existe parfois une différence entre le droit et la pratique », explique Guillaume Sauvage, avocat spécialisé dans le droit de la presse.
« En ce cas, il faut rester extrêmement calme pour ne pas donner prise aux reproches de rébellion, demander aux policiers sur quels fondements juridiques ils s’appuient. Mais si on constate une tension trop grande, le mieux est de s’éloigner. »
3 Comment filmer la police ?
« Gardez en tête que la mission est double : faire descendre la tension quand cela est possible et s’assurer d’avoir des images utilisables de la scène », rappelle le Collectif contre le contrôle au faciès [PDF].
Sihame Assbague, journaliste et militante antiraciste, a donné sur Twitter plusieurs conseils :
- Essayer d’être deux à filmer : une personne filmant la scène et l’autre la vue d’ensemble, et essayer d’avoir l’autre personne dans le champ.
- Protéger son téléphone par un mot de passe et refuser de le donner si le téléphone est saisi.
- « Quoi qu’il arrive, restez calme et courtois. Ça peut être difficile mais n’oubliez pas que votre rôle à vous est de filmer la scène. »
- Essayer de donner son téléphone à quelqu’un en cas d’arrestation pour protéger les images.
- Pour éviter d’être accusé de montrer une photo où des policiers sont identifiables : « flouter les visages avant diffusion ou envoyer vos vidéos à des associations ou à la presse pour relais ».
Stopper une violence
« Le but n’est pas de filmer une violence policière mais de stopper une violence », commente Christian Tidjani du collectif L’Assemblée des blessés.
« Quand vous le faites, vous aidez la personne agressée. »
Plutôt que de se cacher pour filmer, il recommande de le dire ouvertement aux forces de l’ordre : « Monsieur/Madame, vous êtes filmé(e). »
« On remarque généralement qu’en le disant, ils se calment. »
Même conseil de la part du Collectif contre le contrôle au faciès : mieux vaut rester visible et à une certaine distance.
« Filmer, c’est un réflexe qui n’est pas évident car on est dans l’action », reconnaît Christian Tidjani. Lors des manifs, il préconise aussi d’éviter de filmer des manifestants, « tout simplement parce que la police peut se servir de ces images pour interpeller des gens ».
4 Existe-t-il des applis adaptées ?
- Pour filmer : Periscope et Facebook Live
Ces deux applications permettent de diffuser en temps réel les images depuis son smartphone. Periscope a beaucoup été utilisée pendant les manifs contre la loi travail. Louis, interviewé par Rue89 en avril dernier, l’utilisait à cette occasion contre les violences policières :
« La diffusion en direct me protège un peu, et empêche les policiers de récupérer ou casser le téléphone, la carte SD. Enfin, ils peuvent continuer à le faire, mais la vidéo est là. Et vu qu’il est tout à fait légal de filmer les flics en action, ça peut permettre de porter plainte pour violence/vol/casse, etc. »
L’appli de Louis est configurée pour envoyer une notification sur Twitter quand il filme ; les images sont ensuite enregistrées automatiquement pendant une semaine.
- Pour flouter des visages : ObscuraCam (en open source, disponible sur Android)
Aux Etats-Unis, des associations ont créé des applications dédiées, qui peuvent, par exemple, envoyer automatiquement une copie des images à une association de défense des droits, ou poster automatiquement la vidéo sur YouTube.
(N’hésitez pas à nous signaler l’existence d’autres applis.)
5 Peut-on diffuser ces images ?
Légalement, oui. Guillaume Sauvage :
« Si la vidéo présente un intérêt en matière d’information, il n’est pas nécessaire de flouter les visages, selon une jurisprudence de 2005 de la Cour de cassation. »
D’après deux arrêts de la Cour de cassation (le 25 janvier 2000 et le 20 février 2001), la diffusion d’images de policiers dans l’exercice de leur fonction est autorisée dès lors qu’elle illustre un événement d’actualité.
Il existe cependant des exceptions importantes :
- Il ne doit pas y avoir d’atteinte à la liberté de la personne ou au secret de l’instruction (il est par exemple interdit de publier une image d’une personne menottée ou d’une reconstitution judiciaire). Dans ces cas, la diffusion des images nécessite une absence de possibilité d’identification (un floutage par exemple).
- Les forces de l’ordre ne bénéficient d’aucune protection particulière en matière de droit à l’image, sauf si elles sont affectées dans des services d’intervention (Raid, GIGN, GIPN, BRI, sécurité du Président…), à la lutte antiterroriste ou au contre-espionnage. Les services concernés sont énumérés dans l’arrêté du 27 juin 2008. Rien ne doit permettre de les identifier sur les vidéos (s’il y a floutage, il doit être extrêmement rigoureux pour ne pas risquer d’être poursuivi).
Les policiers peuvent vous demander de flouter leur visage s’ils estiment que la vidéo porte atteinte à leur anonymat et à leur sécurité ou qu’elle perturbe le bon déroulement de l’enquête, mais il est rare que ce soit légalement le cas.
Observatoire des violences policières
Christian Tidjani insiste, lui, sur le fait d’attendre quelques jours avant de publier une vidéo, que les forces de l’ordre rédigent et envoient leurs procès verbaux :
« C’est important de comparer le PV à la réalité. »
Vous pouvez ensuite publier directement les images sur Internet. Guillaume Sauvage précise :
« Une fois que la vidéo est publiée, elle tombe sous le coup de la loi de 1881 sur la presse et des dispositions du code pénal. Les mêmes contraintes que pour les journalistes s’appliquent : il faut donc bien prendre garde au contexte de publication, aux discours que peuvent véhiculer telle ou telle plateforme. »
Vous pouvez, pour plus de sûreté, contacter les collectifs et associations contre les violences policières (Urgence notre police assassine, Collectif contre le contrôle au Faciès, L’Assemblée des blessés…) ou les envoyer à un (des) média(s).
Plusieurs de ces collectifs ont présenté le 14 juillet leur projet de plateforme commune qui devrait être lancée à la rentrée prochaine. N’importe qui pourra alors s’adresser à cet observatoire des violences policières pour obtenir des conseils.
6 A quoi servent ces vidéos ?
« La seule arme, c’est la vidéo », constate Christian Tidjani de L’Assemblée des blessés.
« C’est la seule chose qui puisse contredire la parole d’un policier et son PV. Sinon c’est parole contre parole et il y a un non lieu. »
En 2010, son fils a été grièvement blessé par un tir de flashball alors qu’il bloquait son lycée. Une vidéo avait alors contredit la version du policier qui affirmait que Geoffrey Tidjani lui a lancé deux, voire trois projectiles, et s’apprêtait à recommencer quand il a fait usage de son arme. « Heureusement, il y a eu ces deux vidéos », avait déclaré le procureur dans ses réquisitions. Le policier a fait appel de sa condamnation.
Filmer peut avoir un effet dissuasif, mais servir aussi à documenter ou à dénoncer. Si la vidéo peut aussi être déterminante quand deux paroles s’affrontent, encore faut-il qu’elle soit exploitable : qu’on y voie suffisamment clairement, et entièrement, l’action en train de se dérouler. Mais Guillaume Sauvage rappelle que « la preuve est libre ».
« Ce sont les enquêteurs et les juges qui décident d’y accorder ou non de l’importance, en fonction de sa qualité, de ce qu’ils estiment être son degré de vraisemblance, etc. »
Identification d’un policier
La Ligue des droits de l’Homme (LDH) a demandé l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur les violences policières commises lors des manifestations contre la loi travail, en citant notamment les « multiples vidéos » en circulation.
Dans le cas des violences policières au lycée Bergson, à Paris, les vidéos ont permis d’identifier un policier actuellement mis en examen.
Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH, estime :
« Le fait que cette technique permette d’enregistrer ces images est révolutionnaire et cela facilite les initiatives individuelles. Quelle conscience citoyenne émergera-t-elle de tout ça ? Cela reste à voir. »