Fatima Ouassak : « On veut empêcher les classes populaires de s’organiser politiquement »
4 sept. 2020 – Les institutions comme les organisations majoritaires, associatives, syndicales ou politiques, mènent des guerres larvées contre les minorités. Mais, dans les quartiers populaires, les mères, nouvelles actrices politiques au fort potentiel stratégique, s’organisent. On en parle avec Fatima Ouassak, politologue et autrice de « La puissance des mères » aux éditions La Découverte.
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Sur son expérience de mère
« Au regard de mon propre vécu de mère, je me suis rendue compte à quel point notre pouvoir était confisqué et en même temps, à quel point on avait du pouvoir : il faut se le réapproprier pour faire levier et devenir les vecteurs d’un changement radical. »
« On parle de la désertification politique des quartiers populaires mais il est important de bien comprendre combien il est difficile pour nous de se battre politiquement sur des choses aussi anodines que la cantine. »
« Il faut sortir du sentiment d’impuissance que l’on a lorsque l’on doit faire face à une institution quelle qu’elle soit. »
« A Bagnolet, au départ, on était 6 ou 7 personnes – il se trouve que c’était des femmes, des mères. Mais déjà à 6 ou 7, on peut faire énormément à l’échelle d’une ville ou d’un quartier. »
« J’ai fait l’expérience de l’impossibilité de tenir un propos minoritaire de revendication égalitaire dans un espace majoritaire. »
« On nous renvoie souvent au communautarisme (…). Moi, j’ai voulu montrer comment, en tant que parent lambda – pas en tant que militante –, il est difficile de porter une question simple… »
« Le fait que ça ne marche pas ne vient pas des minoritaires. Quand on nous parle de communautarisme ou de séparatisme, cela vient des organisations majoritaires qui nous rejettent. »
Sur les organisations majoritaires, associatives, syndicales et politiques
« Pour moi, il y a un problème des organisations majoritaires avec la classe populaire. »
« Je parle surtout de la classe populaire descendante de l’immigration africaine qui vit dans les quartiers populaires mais le problème, c’est le rapport des organisations majoritaires avec les minorités quelle qu’elles soient qui est problématique. »
« On met des entraves aux personnes issues de la classe populaire pour les empêcher de s’organiser politiquement. »
« Les organisations majoritaires ne vivent que par la confiscation des causes de la classe populaire – et ça marche comme ça à gauche, voire très à gauche. »
« Ce n’est pas parce que j’analyse et que je critique les enjeux de pouvoir au sein des grosses organisations que je dis qu’il faut arrêter complètement de travailler avec elles. »
Sur l’auto-organisation
« Je crois en l’action syndicale et aux modalités que sont la grève et l’occupation. »
« Un syndicat, c’est déjà très ambitieux ! J’avais dit dès le départ qu’on n’allait pas devenir un mouvement de masse en cinq ans. »
« Je ne suis pas une gauchiste qui pense qu’il faut rester dans la cave en laissant le système électoral aux politiciens véreux, pourris et corrompus : il faut aller là où il y a du pouvoir. Et en France, le pouvoir politique est concentré dans le système électoral. Donc il faut y aller. »
« Il faut aller aux élections mais pas forcément avec une étiquette partisane. Je ne dirais pas “au contraire” mais il y a aujourd’hui un gros rejet des partis politiques, notamment dans les quartiers populaires où les taux d’abstention sont énormes. »
« Il faut une autre offre politique – et l’offre syndicale, dans ce qu’elle permet d’auto-organisation, m’apparaît aujourd’hui plus pertinente. »
Sur la transmission et l’éducation
« Je sais à quel point les cultures peuvent être fantasmées, ne sont pas définitives et peuvent être très bâtardes. »
« L’idée, ce n’est pas de transmettre des identités figées. »
« Je peux mobiliser des identités très différentes sur une même journée – et je veux que mes enfants puissent faire de même. »
« Nous ne sommes pas ce que nous mangeons, nous ne sommes pas ce que nous achetons, nous ne sommes pas ce que nous portons, nous sommes cette capacité à résister. Il faut transmettre sans complexe d’infériorité, sans honte et sans trembler. »
« Ce qu’il faut transmettre, c’est la capacité de ne jamais se résigner face à l’injustice, face à l’inégalité, c’est-à-dire transmettre les luttes – et il se trouve que l’on en a de très belles, qui ne sont pas connues. »
« C’est important de se rappeler que l’on peut inscrire nos luttes d’aujourd’hui dans des luttes africaines, anticoloniales et de l’immigration. »
« On n’a pas besoin d’importer le community organising parce qu’on a ce qu’il faut dans les luttes de l’immigration et de libération. »