Exécutif : pesticides, climat… l’envers du discours vert
Sur les questions environnementales, le gouvernement a multiplié les belles déclarations pour, en pratique, enchaîner les reculades. Décryptage en six points cruciaux.
«Make our planet great again», vraiment ? Emmanuel Macron a beau avoir été sacré «champion de la Terre» par l’ONU, l’exécutif français ne brille pas par son action en faveur de l’environnement. Qu’il s’agisse de glyphosate ou de climat, il fait des promesses, sur Twitter ou à l’oral, mais ne les ancre pas dans la loi. Reculades ou reflet d’un manque d’ambition originel ? Le point sur six dossiers.
Climat : en attendant le sursaut
Sur le papier, la France s’affiche comme une championne du climat. Elle s’est engagée à limiter le réchauffement à + 1,5° C par rapport à l’ère préindustrielle et à rester sous les 2° C, comme le prévoit l’accord de Paris. Las, depuis 2016, les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont reparties à la hausse et, jusqu’en 2023, la France va sûrement dépasser le plafond qu’elle s’était fixé. En cause, notamment, le retard pris dans la rénovation thermique des logements, qui souffre d’un manque cruel de financement alors qu’elle a été érigée au rang de «priorité nationale». Résultat, fortes de leur pétition à 2,1 millions de clics, les ONG qui ont annoncé en décembre vouloir déposer un recours en justice contre l’Etat pour «inaction» face au changement climatique trépignent. Vendredi, dix jours avant la date limite fixée à l’exécutif, elles ont adressé une lettre au Premier ministre, lui reprochant l’absence de «réponse forte» et de «sursaut».
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De fait, aucun sursaut n’a eu lieu. Pire, dans son projet de loi sur l’énergie adressé le 4 février au Conseil économique, social et environnemental (Cese), le gouvernement prévoit de supprimer un objectif majeur de la politique énergétique et climatique nationale, pourtant ancré dans la loi depuis 2005 : la division par quatre des émissions de GES du pays entre 1990 et 2050, surnommée «facteur 4». A la place, il promet «d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050». Ce qui change tout. L’exécutif a beau vanter un objectif «bien plus ambitieux», qui impliquerait de diviser les émissions de GES «par huit pour atteindre zéro émission net en 2050», s’il n’inscrit pas ce «facteur 8» dans la loi, il s’agira bien d’un recul. Car la notion assez floue de «neutralité carbone» n’existe dans aucun texte législatif. Sauf dans l’accord de Paris, qui n’a aucune valeur contraignante et où elle est entendue comme l’équilibre entre les émissions de GES et les absorptions anthropiques (forêts, prairies, sols agricoles et zones humides, mais aussi capture et stockage du carbone, une technique chère et pas encore au point).
Si le projet de loi était adopté tel quel, sans objectif chiffré de réduction des émissions, la France pourrait donc continuer à émettre moult CO2 et autres gaz nocifs pour le climat… à condition de les «compenser» pour atteindre la neutralité carbone. Mais cela risque d’ouvrir grand la porte à ce que Greenpeace appelle des «fausses solutions, comme les agrocarburants ou les procédés industriels de stockage du carbone». Interpellé sur Twitter, le conseiller énergie de l’Elysée répondait samedi : «La baisse des émissions est notre priorité. Toutes les précisions nécessaires seront apportées pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté.» Enfin le sursaut ?
Diesel : la crainte d’une réhabilitation
Le sort du diesel n’est pas tranché. Mardi, le ministre de l’Ecologie, François de Rugy, a dû défendre le bien-fondé de l’étiquetage «Crit’Air» strict actuellement appliqué aux véhicules diesels, alors que son homologue à l’Economie, Bruno Le Maire, s’est montré ouvert à «discuter» du sujet. En effet, le Monde écrivait la semaine dernière que Bercy réfléchissait à ouvrir la vignette Crit’Air 1 (qui caractérise les véhicules les moins polluants, hors électriques) aux diesels récents. De quoi affoler le collectif Air-Santé-Climat, qui réunit médecins, chercheurs et responsables associatifs : une telle réhabilitation du diesel «ouvrirait la voie à un scandale sanitaire». Car même dans des conditions optimales de conduite, «un diesel récent émet cinq à six fois plus de NO2 (dioxyde d’azote) qu’un véhicule essence», sachant qu’en France, «le NO2 est à l’origine de 5 000 à 7 000 décès par an d’origine cardiovasculaire ou pulmonaire, un impact sous-évalué». Et c’est sans compter les émissions de particules ultra-fines des moteurs diesels, tout aussi nocives pour la santé.
Huile de palme : des exemptions pour Total ?
L’exécutif, qui jure vouloir lutter contre la déforestation, a demandé en octobre aux députés de maintenir l’exonération fiscale dont bénéficie l’huile de palme dans les carburants (75 % de la consommation de cette huile en France). Objectif à peine déguisé : ménager Total et sa «bioraffinerie» de La Mède, dont l’ouverture a été autorisée par l’Etat en 2018. En vain, puisqu’en décembre, l’Assemblée nationale a mis fin à cet avantage fiscal. Sauf que l’histoire n’est pas terminée.
«Avec le soutien du gouvernement, Total mise sur un affaiblissement de la volonté européenne d’en finir avec l’huile de palme dans les carburants pour remettre en cause la suppression de cet avantage fiscal lors du prochain projet de loi de finances, comme l’a annoncé son PDG, Patrick Pouyanné, le 11 janvier dans le Figaro», dénonçaient lundi les Amis de la Terre, évoquant un «grave recul». Selon l’ONG, la France aurait poussé pour obtenir des exemptions à un texte publié le week-end dernier par la Commission européenne, visant à mettre un terme à l’utilisation d’agrocarburants qui contribuent à la déforestation, pour «éviter de remettre en cause l’importation d’huile de palme dans les carburants et protéger les intérêts économiques de Total».
Nucléaire : des objectifs repoussés
Le nucléaire «joue un rôle important» dans la stratégie énergétique de la France. Fin janvier, François de Rugy ne voyait rien à redire à l’atome. Pourtant, lorsqu’il était candidat à la primaire socialiste début 2017, l’ex-membre d’Europe Ecologie-les Verts avait défendu la fermeture des centrales «à l’horizon 2040». Et lors de son arrivée au gouvernement, après la démission de Nicolas Hulot, à la question «le nucléaire est-il encore une énergie d’avenir ?» il avait répondu : «Spontanément, ma réponse est non.» Depuis, le ministre s’est coulé dans la ligne de l’exécutif, largement pronucléaire. Fin 2017, déjà, une promesse de campagne de Macron tombait aux oubliettes : Hulot annonçait que la France ne ramènerait pas la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % en 2025 (75 % aujourd’hui), contrairement à ce que prévoit la loi de transition énergétique de 2015.
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Confirmation dans le projet de loi sur l’énergie transmis la semaine dernière au Cese, qui repousse l’objectif des 50 % à 2035. De quoi faire craindre à Greenpeace «des conséquences très graves pour la sûreté et la sécurité des installations nucléaires […], un risque d’accident et des coûts qui explosent». Et l’ONG de tacler un autre «recul inadmissible» du projet de loi, qui revoit à la baisse le niveau total d’économie d’énergie du pays, pour le faire passer à «17 % en 2030» par rapport à 2012, contre 20 % prévus dans la législation. «Comme d’habitude, la France cherche surtout à justifier le maintien de sa production surdimensionnée d’électricité nucléaire plutôt que de s’engager dans une vraie transition énergétique basée sur les économies d’énergie et les énergies renouvelables (ENR)».
Au sein de l’UE, la France compte parmi les pays les plus éloignés de leur cible en matière de consommation finale d’ENR, à 6,7 points des 23 % visés d’ici deux ans. Aucun parc éolien n’a reçu de permis d’exploitation depuis plus d’un an, s’alarmait en janvier l’association d’entreprises WindEurope. Raison principale, selon les spécialistes du secteur ? L’exécutif tarde à publier le décret qui permettrait de débloquer l’instruction des projets.
Pesticides : une position floue
En démissionnant fin août, Nicolas Hulot s’était inquiété de l’utilisation des pesticides en France : «Est-ce que nous avons commencé à réduire [leur] utilisation ? La réponse est non.» La vente de ces produits phytopharmaceutiques est repartie à la hausse en 2017, et l’objectif d’une baisse de 25 % en 2020 par rapport au début de la décennie paraît compromis. Fin mai, le gouvernement et les députés ont refusé d’inscrire dans la loi la sortie du glyphosate en 2021. Pour bannir de nos champs l’herbicide le plus utilisé au monde, la parole présidentielle suffisait, arguaient-ils alors. Fin novembre 2017, Macron n’avait-il pas assuré, dans un tweet, avoir «demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans» ?
Fin janvier, le Président mettait pourtant des pesticides dans son vin, déclarant que la France ne parviendrait pas à se passer «à 100 %» du glyphosate dans les trois ans, car cela «tuerait notre agriculture». Il a bien encouragé les «productions alternatives» pour ne plus utiliser cette substance classée «cancérogène probable» par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais s’est appuyé sur la seule bonne volonté des agriculteurs, des industriels et du syndicat majoritaire, très pro-pesticides, la FNSEA… dont la présidente, Christiane Lambert, a salué lundi le «pragmatisme» de Macron. A vrai dire, ce dernier a toujours entretenu un certain flou sur la sortie du glyphosate. Dans son fameux tweet de 2017, la formulation «dès que des alternatives auront été trouvées» laissait perplexe, puisque celles-ci existent déjà.
D’autres propos de Macron, début février, ont semé le trouble. «Il ne faut pas dire que c’est cancérigène», a-t-il lancé au sujet du chlordécone, un pesticide ultratoxique, perturbateur endocrinien, classé «cancérigène possible» par l’OMS dès 1979 et utilisé jusqu’en 1993 dans les bananeraies en Guadeloupe et en Martinique. L’Elysée a plaidé le «malentendu» et rappelé l’engagement présidentiel de permettre la reconnaissance d’une «maladie professionnelle» pour les travailleurs agricoles les plus exposés au chlordécone. Mais le 1er février, à l’Assemblée nationale, la proposition de loi portant sur la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone n’a pas été discutée, faute de temps. Et la création d’un fonds d’indemnisation des agriculteurs victimes des «phyto», abondé par les firmes, a une nouvelle fois été reportée. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a demandé un report de l’examen de ce fonds au prochain projet de loi de financement de la Sécu, en septembre.
Biodiversité : de nombreuses incohérences
L’exécutif affiche sa volonté d’élever la protection de la biodiversité au rang de «priorité» à mettre «au cœur de toutes les politiques publiques». Un «changement d’époque», disait-on en juillet, lors de la présentation du «plan biodiversité». Mais celui-ci est plus incitatif que contraignant et manque de moyens. Surtout, le gouvernement multiplie les incohérences. Paris s’est opposé mi-mai à la proposition de Bruxelles de suspendre la chasse à la tourterelle des bois, dont la population a chuté de 80 % en trente ans. Lundi, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) déplorait aussi que «l’Etat, complice, laisse chasser les oies contre l’arrêt du Conseil d’Etat» qui a suspendu un arrêté ministériel autorisant la chasse aux oies migratrices après la date du 31 janvier. La LPO dénonce un «cadeau de trop fait aux chasseurs après la réduction du prix du permis national» ou l’autorisation des «piégeages traditionnels» comme la chasse à la glu.
Autre fléau : tous les dix ans, l’équivalent d’un département comme la Loire-Atlantique est englouti sous le béton. Or le gouvernement se garde de mettre son veto aux grands projets comme le méga-complexe EuropaCity, près de Paris. En mai, l’Etat a fait appel de la décision de justice qui retoquait le projet. L’exécutif a aussi autorisé le grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg, malgré les avis négatifs de l’enquête publique et du Conseil national de protection de la nature. Même chose pour l’autorisation accordée à Total de forer au large de la Guyane dans le récif corallien de l’Amazone. Enfin, même s’il a concédé, le 1er février, que celui-ci «n’est pas au meilleur niveau» à ce stade, Macron soutient toujours le projet Montagne d’or, une mine géante prévue dans la forêt guyanaise.