Depuis 40 ans, la maitrise des risques industriels et chimiques en France met en danger la population
9 sept. 2020 – Après Lubrizol le 26 septembre 2019 et Beyrouth le 4 août dernier, les risques technologiques sont au coeur des débats. Pour Paul Poulain, spécialiste en sécurité incendie et dans la maîtrise des risques industriels, la réponse doit passer par les citoyens.
« L’année dernière, on a recensé 1089 accidents technologiques en France, soit environ 3 par jour »
Sur l’incendie de l’usine Lubrizol le 26 septembre 2019 « Lubrizol est un des 1.300 sites SEVESO en France donc faisait partie des sites les plus inspectés. Le problème, d’après l’enquête parlementaire, viendrait d’un incendie chez Normandie Logistique, une entreprise voisine, qui se serait propagé chez Lubrizol. Et eux n’étaient pas inspectés même s’ils faisaient partie d’un des 459.000 sites soumis à déclaration en France. » « Il faut appliquer la réglementation : la réglementation française est vraiment bonne à quelques détails près. Mais elle n’est pas appliquée. » « Dans le cas de Lubrizol, il aurait fallu que l’entreprise Normandie Logistique soit équipée de systèmes de sécurité incendie, notamment de systèmes d’extinction automatique ou de compartimentage. » « En France, l’année dernière, il y a eu quelque 18.000 inspections mais seulement 9.000 sites inspectés, dont certains plusieurs fois. » « L’année dernière, on a eu 1.089 accidents technologiques en France, c’est-à-dire environ 3 par jour. » « Presque paradoxalement, Lubrizol est l’une des entreprises qui a investi le plus en sécurité ces 5 dernières années mais cela n’a pas empêché un incendie qui a trouvé sa source à côté. »
Sur les risques incendie
« Depuis 40 ans, la maîtrise des risques technologiques en France met en danger la population et l’environnement : c’est ce qui ressort d’un rapport sénatorial publié en juin. » « Les budgets de prévention des risques technologiques sont vraiment conséquents pour les entreprises… dans une logique de compétitivité, il a toujours une recherche de diminution des frais fixes donc à éviter d’avoir des systèmes de sécurité. » « Dans une logique assurancielle, certains sites vont plus loin que la réglementation pour se protéger. » « On pourrait fermer une entreprise pour des raisons de risques incendie mais l’autorité de la maîtrise des risques technologiques dépend du préfet… qui est toujours en train d’arbitrer entre le développement économique de son territoire qui est en concurrence avec d’autres et la sécurité de la population. C’est dramatique. C’est pourquoi des partis comme la France insoumise sont en train de travailler à une proposition de loi pour la création d’une autorité de sûreté indépendante des installations classées pour la protection de l’environnement, inspirée de ce qui s’est passé dans le nucléaire. »
Sur le nitrate d’ammonium
(responsable de l’explosion de Beyrouth le 4 août dernier et dont la France consomme 8% de la production mondiale) « 80% du nitrate d’ammonium est utilisé dans l’agriculture comme engrais chimique et 20% pour créer des explosifs, notamment pour le bâtiment, les carrières et la route. » « Fait intéressant : le nitrate d’ammonium agricole n’est pas considéré comme explosif. L’Orange Book, le livre de l’Organisation des Nations Unies sur les matières dangereuses, évoque que le nitrate d’ammonium agricole est un comburant mais pas un explosif. Scientifiquement c’est vrai mais à partir de 0,2% de matière organique, c’est-à-dire de la poussière de paille ou de la vapeur d’eau, le nitrate d’ammonium agricole se retrouve dans une situation explosive. » « En Irlande comme dans 6 autres pays européens, le nitrate d’ammonium en tant qu’engrais est interdit. Et les pays qui ne l’interdisent pas réglementent bien plus que la France. » « En France, vous êtes réglementé à partir du moment où vous stockez plus de 500.000 kilos de nitrate d’ammonium agricole. Aux Etats-Unis, c’est limité à 454 kilos. » « Il y a le risque d’explosion mais aussi le risque terroriste. » « On a 177 sites qui stockent en France plus de 500.000 kilos de nitrate d’ammonium. Les plus gros stockages sont à Yara à Ambès (Gironde) et à Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique). A Ambès, ils sont autorisés à stocker jusqu’à 168.000 tonnes de nitrate d’ammonium, c’est-à-dire 25 fois plus qu’à Beyrouth. S’il y avait une explosion, ce serait catastrophique car cela toucherait Bordeaux qui se trouve à une vingtaine de kilomètres (…). Néanmoins, ce site-là n’est pas mis en demeure par l’administration vis-à-vis du risque d’explosion : les risques sont sur la pollution de l’air et de l’eau. » « Le nitrate d’ammonium agricole, contrairement au lubrifiant automobile de Lubrizol, nous pouvons nous en passer très rapidement. En passant en agriculture paysanne, nous nous passerons petit à petit des engrais chimiques et nous supprimerons le risque à la source. »