Santé mentale : La came isole
Dépression, schizophrénie, boulimie, insomnie… Jusqu’ici tout va bien, les noms de ces troubles liés à nos chers cerveaux ne vous sont pas étrangers. Mais si j’évoque la phobie sociale, l’accumulation pathologique, le syndrome d’hyperphagie, de trouble disruptif avec dysrégulation émotionnelle… Vous voilà perdu·e·s. Ne vous inquiétez pas, le DSM-5, la bible des maladies psychologiques, est là pour vous aider. Ou pas. Plongez avec nous dans le monde merveilleux de la santé mentale. Ses vrai·e·s malades, ses fausses maladies et ses joyeux laboratoires qui ne perdent jamais de vue leur rentabilité. Pas fous.
# Santé mentale et débat serein Bien l’bonjour ! Il semblerait que notre dernier épisode en date, intitulé “Santé Mentale : la came isole” (youtu.be/cnPVDDPMsK8), ait réveillé quelques querelles apparemment sensibles. Ça tombe bien, c’est en partie le sujet de cet épisode. Nous n’avons pas pour habitude de prendre part aux échanges qui font vivre un sujet dans les commentaires et sur les différents réseaux après la mise en ligne de nos épisodes. La raison est simple : nous ne sommes pas là pour asséner des vérités mais partager des questionnements et tenter de susciter des échanges.
Comme nous l’avons déjà expliqué (youtu.be/woqwcjmrMHw), pour chaque sujet que nous traitons, nous menons des recherches, nous en tirons un épisode que nous partageons en même temps que nos sources. Une façon de dire “Voilà ce que nous avons compris de cette question. Voilà ce qui nous a interrogé sur ce sujet. À vous d’en discuter et de vous faire votre opinion.” Nous ne sommes donc pas à l’abri d’erreurs, nous ne cherchons pas la perfection mais le questionnement, qui est à l’opposé des certitudes. Voilà 91 épisodes que ça dure et une fois de plus ici, un débat riche et complexe naît autour de cet épisode. Il y a des échanges passionnés et passionnants entre de nombreuses personnes – personnel soignant, malades, proches… – qui ne prennent pas ces 15 minutes autour de la santé mentale pour parole d’évangile mais qui se forgent un avis en comparant leurs expériences intimes, leurs lectures et les discussions avec d’autres dans ces espaces numériques ou ailleurs.
Mais, une fois n’est pas coutume, cet épisode fait l’objet de critiques virulentes où l’on nous reproche pêle-mêle : de mentir délibérément, d’alimenter les théories du complot (sujet sur lequel on a pourtant fait un épisode (youtu.be/Z9uDmY-aj64) assez clair il y a quatre ans) et de mettre en danger la vie d’autrui. Dont acte. Il n’est plus question ici de débat sain et utile socialement mais d’une attaque ciblée et diffamante à laquelle nous avons choisi de répondre. En partie. En partie car notre but n’est pas et n’a jamais été de creuser des tranchées pour alimenter des guerres stériles. Ces critiques émanent principalement de psychiatres qui ont regardé notre épisode avec un premier biais majeur : ils/elles sont convaincu·e·s qu’il est à charge contre leur profession. C’est faux. Factuellement, nous ne mentionnons aucune profession issue des personnels soignant liés aux questions de santé mentale dans cet épisode. Pas de psychiatre, ni de psychologue, ni de médecin, ni de psychotérapeuthe, personne. C’est normal : il n’a jamais été question de les mettre en cause.
Mieux : sur les deux tiers de l’épisode – soit prêt de dix minutes – nous laissons la parole à Mathieu Bellahsen, psychiatre toujours en poste. Et voilà un second biais qui apparaît : les critiques violentes qui nous sont adressées le sont en se basant uniquement sur le seul premier tiers de la vidéo : ce que l’on appelle le motion design. Comme si un patient, décidait de ne se conformer qu’à un tiers de sa prescription médicale, ou que vous jugiez un livre de cent pages en vous arrêtant aux trente premières. Ça n’a pas vraiment de sens. Un épisode de Datagueule est le fruit d’une écriture multiple comprenant un motion design suivi d’une interview. Ça n’est pas un hasard : l’écriture spécifique du motion design ne permet pas toutes les nuances que l’on souhaiterait avoir sur un sujet mais il permet de poser une problématique. Les nuances émergent ensuite grâce à l’interview où cette parole non scriptée ajoute de la complexité et de la profondeur sur le sujet posé. Or ces 10 minutes d’interview de Mathieu Bellahsen, celles et ceux qui sont si généreux en reproches n’ont pas pris la peine de les commenter. C’est dommage.
Dommage car ce psychiatre en poste donc, y explique clairement qu’il prescrit des antidépresseurs et qu’ils peuvent être utiles. Et nous voilà sur le troisième reproche radical qui nous est adressé : avec cet épisode, nous inciterions les patient·e·s à stopper leurs traitements et ainsi nous mettrions la vie d’autrui en danger. Ce qui est donc faux. À aucun moment de l’épisode nous ne disons qu’il faut se passer totalement des médicaments sur les questions de santé mentale. Cela serait aussi idiot qu’absurde. Mieux : Mathieu Bellahsen formule clairement que les médicaments peuvent être utiles et dans le motion design, nous écrivons : “Pour les maladies psychiatriques sévères, les médicaments découverts dans les années 60 offrent de vrais résultats”. On n’est loin d’une récusation en règle de toute forme de médication. Nous arrivons au coeur du sujet de cet épisode : questionner les traitements chimiques en matière santé mentale. Ce qui ne veut pas dire vouloir les faire disparaître.
Cela veut juste dire : les questionner. Ni plus, ni moins. Voilà le sujet que nous avons voulu aborder et, au vu des échanges dans les commentaires, c’est bien ce qu’y ont vu une grande majorité de celles et ceux qui ont visionné l’épisode et qui ont choisi de participer aux discussions. Apparemment, il s’agit bien d’une question qui passionne du monde, personnel soignant comme patient·e·s. Comme le dit Mathieu Bellahsen, cette question nous semble être un enjeu démocratique auquel tout le monde doit pouvoir participer : personnels soignants mais aussi malades, proches, citoyennes et citoyens car nous pouvons toutes et tous être concerné·e·s par cette question. Or, à écouter celles et ceux qui en appellent au CSA pour faire retirer purement et simplement cet épisode, seul·e·s les psychiatres devraient avoir voix au chapitre.
Nous ne sommes pas de cet avis (ce qui ne nous empêche pas de donner la parole pendant la majeure partie de notre épisode à un psychiatre, bis). Enfin, dernier point : nous serions des menteur·euse·s et des colporteur·euse·s de “fake news” (attention, ce terme popularisé par l’administration Trump n’est pas le plus précis qui soit. En matière de désinformation, la réalité est plus complexe qu’un slogan, cf par là : is.gd/LDQnM3). Le souci étant que notre motif supposé pour colporter ces “fake news” serait que l’on voudrait imposer une certaine théorie: tous les médicaments sont néfastes en matière de santé mentale. Ce qui n’est donc pas le cas, cf supra. La motivation supposée étant fausse, il y a de fortes chances pour que les accusations de mensonges soient abusives. Quels mensonges ? Nous écrivons par exemple : “En 1980, dans le DSM-III, c’est l’approche neurobiologique qui prend le dessus : les troubles mentaux seraient dus à des déséquilibres chimiques du cerveau”.
Or, il nous est reproché que personne n’a jamais dit que les troubles mentaux seraient uniquement dus à des déséquilibre chimiques du cerveau. Ça tombe bien, personne ne l’a dit et nous non plus. Cela dit, nous avons effectivement laissé une approximation dans cette phrase si elle est prise hors contexte. Nous aurions pu écrire : “En 1980, dans le DSM-III, c’est l’approche neurobiologique qui prend le dessus : les troubles mentaux seraient principalement dus à des déséquilibres chimiques du cerveau”. Dont acte. Malgré tout, si l’on remet la phrase dans son contexte (c’est-à-dire l’épisode dans son intégralité pas uniquement les cinq premières minutes) et que l’on ne part pas du principe qu’il s’agit d’un épisode à charge contre la médecine (ce qui est toujours faux), on peut percevoir que ce “mensonge” n’en n’est pas un. Par ailleurs, si la question de l’évolution des perceptions des maladies mentales et de la façon de les traiter vous intéresse, parmi les sources que nous avons consulté (dispo sur notre Wiki comme à notre habitude : frama.link/WcvDcWqr), cet article nous a particulièrement frappé (is.gd/oQAZF9).
Il est bien évidemment bien plus complexe et riche qu’un motion design de cinq minutes, libre à chacun·e de le lire intégralement et de se faire son idée. Autre exemple : “Qui dit pathologie listée, dit médicament remboursé et donc ventes assurées”. Là encore, on nous reproche une “fake news”, notamment sous le prétexte que cela n’est en rien le parcours d’un médicament depuis sa fabrication jusqu’à sa mise sur le marché puis sa prescription potentielle. Sauf qu’une fois de plus, ce n’est absolument pas ce que nous avons écrit. Nous écrivons que le fait d’avoir un médicament qui répond à une pathologie listée dans le DSM, ouvre la possibilité au remboursement. Ce qui est bien le cas, notamment aux États-Unis.
Par contre, il est tout à fait juste qu’avant de pouvoir être prescrit, un médicament doit disposer d’une AMM, une Autorisation de Mise sur le Marché, conditionnée à des études cliniques. Nous avions même prévu de faire un paragraphe sur les mécanismes des AMM appliqués aux questions de santé mentale car ça le mérite, tant les dérives sont problématiques. Malheureusement, ne pouvant pas faire un motion design de huit minutes pour des questions de coûts, nous sommes obligés de faire des choix.
Nous avons donc décidé de laisser cette enjeu des AMM de côté mais pour celles et ceux que ça intéresse, voici un article passionnant et documenté sur le sujet, issu de la revue spécialisée Prescrire (is.gd/CxTKLp).