« Les sanctions américaines ont vidé les caisses de l’Etat iranien et la société en souffre »
7 janv. 2020 – L’Iran est au centre de toutes les attentions après une escalade des tensions avec les Etats-Unis qui a franchi un nouveau palier avec l’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani dans une frappe américaine. Pour tout comprendre sur l’Iran et son influence dans la région, Azadeh Kian, sociologue à l’Université de Paris, spécialiste de l’Iran, est l’invitée de la Midinale.
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VERBATIM
Sur le général Ghassem Soleimani
« Hier, dans les manifestations impressionnantes à Téhéran, il y avait aussi des gens qui avaient, au mois de novembre, protesté contre le régime iranien et qui se sont retrouvés dans les manifestations pour commémorer le martyr – comme ils appellent Ghassem Soleimani. »
« L’élément nationaliste est très important – autant que le sentiment anti-américain. »
Sur l’anti-américanisme
« Pour les Iraniens, les sanctions américaines contre le pétrole iranien et contre le système bancaire iranien ont eu un impact très important sur la crise économique qu’ils subissaient déjà : tout n’est pas attribuable à cet embargo américain mais, lorsqu’un Etat rentier comme l’Iran n’arrive plus à vendre son pétrole, ça veut dire que les caisses de l’Etat sont quasiment vides et c’est la société qui en souffre. »
« Une partie de l’anti-américanisme des Iraniens est liée à la politique de Donald Trump. »
« Barack Obama avait essayé de stabiliser les relations, autant que possible, entre l’Iran et les Etats-Unis – notamment grâce au traité sur le nucléaire. C’est Donald Trump qui est sorti de l’accord sur le nucléaire dès son élection et c’est Donald Trump qui a imposé des sanctions de plus en plus lourdes sur l’Iran. »
Sur les relations Irak-Iran
« L’influence de l’Iran a augmenté dans la région – comme en témoigne les réactions à l’assassinat de Ghassem Soleimani. »
« Aujourd’hui, ce sont les Irakiens qui demandent le départ de l’armée américaine. »
« Depuis la chute de Saddam Hussein suite à l’intervention étasunienne en 2003, les Iraniens se sont, petit à petit, rapprochés de l’Irak. »
« Une partie des dirigeants kurdes qui se trouvaient dans l’opposition à Saddam Hussein, s’étaient réfugiés en Iran. »
« Il y a eu énormément de relations commerciales et économiques entre l’Iran et l’Irak. »
« Les Iraniens ont aussi beaucoup collaboré avec les Etats-Unis, la force occupante en Irak, pour essayer de recréer un Etat irakien. »
« Tout ce qui avait commencé à être construit en Irak, avec l’aide des Iraniens, s’est détruit à cause de Donald Trump. »
« Certaines milices irakiennes sont soutenues par l’Iran. »
Sur l’impact de l’escalade des tensions américano-iraniennes sur les rapports entre la population et le régime des Mollahs
« Je ne pense pas que cela resserre véritablement les liens entre la population et les Mollahs car les mécontentements sont réels. »
« Depuis dix ans, l’Iran a connu trois émeutes majeures : 2009 avec les classes moyennes supérieures instruites (le Mouvement Vert) réprimées dans le sang, décembre 2017 et janvier 2018 avec les classes plus populaires dans la rue et encore cette année, en novembre 2019. »
« Le régime islamique d’Iran était en train de perdre des pans entiers de son soutien. »
« Mais l’Iran est aujourd’hui menacé : 52 sites culturels sont menacés par Donald Trump… Que voulez-vous que les Iraniens fassent ? Même ceux qui sont contre le régime sont obligés de resserrer les rangs pour défendre leur pays. »
« Sur les réseaux sociaux, certains Iraniens pensent même que Donald Trump travaille pour Ali Khamenei, le Guide suprême. »
Sur le système politique iranien
« C’est le Guide suprême qui est le chef politique de l’Iran. »
« Les décisions importantes ne sont pas prises par une seule personne mais par plusieurs. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle les décisions ne sont jamais prises à la hâte. D’ailleurs, on le voit aujourd’hui : il y a beaucoup de réflexion sur les façons de riposter à l’assassinat de Ghassem Soleimani – ils n’ont pas répondu dès le lendemain par un attentat contre les Etats-Unis par exemple. »
Sur ce à quoi s’attendre dans les jours et les semaines à venir
« Je pense que l’Iran ne va pas répondre en bombardant les bases américaines car le pays se sait encerclé et que sa marge de manœuvre est très limitée. »
« L’Iran va tout faire pour que l’armée américaine quitte la zone. »
« Le vote au Parlement irakien qui demande aux Américains de quitter leur pays est déjà une réussite pour la politique iranienne. »
« Le gouvernement irakien est un gouvernement ami des Iraniens mais cela va être beaucoup plus difficile de faire pression sur le Bahreïn ou sur l’Arabie Saoudite. »
« Il ne faut pas oublier de prendre en considération l’hypothèse de la riposte des Israéliens qui n’attendent que cela… »