Arnaud Viviant : à quoi sert la littérature ?
Qu’est-ce qu’un critique littéraire ? A quoi sert-il ? Et la littérature, ça sert à quoi ? Et le langage ? Pour en parler, Arnaud Viviant, auteur de “Cantique de la critique” aux éditions La Fabrique, est l’invité de #LaMidinale.
Sur la littérature et le langage « C’est la vulgate de dire que nous sommes une nation littéraire. En réalité c’est le continent européen qui est un continent littéraire. » « L’objet de la littérature, c’est la langue. En l’occurrence pour nous, la langue française. » « Si je peux être en désaccord, parfois profond, avec l’Académie française, avec les académiciens, en revanche le dictionnaire de l’Académie – espèce d’objet sans fin – cherche à définir de nouveaux mots, cherche à redéfinir les mots. » « La littérature, en France, est le garant de ce que veulent dire les mots. » « La définition de liberté ne se discute pas. Si vous commencez à discuter de la notion de liberté, ce n’est plus une notion de liberté. La notion d’égalité doit être aussi ferme en politique qu’elle l’est dans les mathématiques. Il peut y avoir une polysémie du mot fraternité mais n’est pas non plus infinie. La fraternité reste la fraternité. » « L’écrivain est le garant du sens des mots. » « Les mots peuvent changer de signification d’une manière un peu roublarde, souvent dans le discours politique qui est très habile ou le discours de la communication. » « La deuxième moitié du XXè siècle, l’idée du signifiant l’a beaucoup emporté dans le domaine de la psychanalyse mais aussi de la littérature. »
Sur l’usage des mots en politique « 1984, le chef d’œuvre d’Orwell, est exactement le livre qui montre comment un pouvoir change la définition même des mots et organise une autre société, une société de contrôle. » « La démocratie n’est pas qu’un mot ou un fait de langage, la démocratie est une réalité. Nous vivons de moins en moins dans une démocratie. » « La critique naît en même temps que la démocratie. » « La liberté d’expression dans nos sociétés ne peut pas exister totalement. Il y a des sujets dont on ne peut pas parler. » « Quand Flaubert écrit Madame Bovary, il est sujet à un procès. Et il va le gagner parce que son père a le bras long. Et il va échapper à la sentence et grâce au procès, Madame Bovary va connaître un succès. Six mois plus tard, c’est Baudelaire qui se retrouve devant le tribunal pour les pièces lesbiennes des Fleurs du mal. Lui va perdre et il est condamné. Donc la liberté d’expression se gagne au fur et à mesure. »
Sur l’écriture inclusive « Je m’essaie timidement à l’écriture inclusive dans mon livre. » « Quand vous êtes écrivain, la question de l’écriture inclusive devrait vous passionner. Comment arriver à changer dans la langue, un schéma de pensée et un schéma de domination masculine ? » « À l’école, en grammaire, on apprend que le masculin l’emporte sur le féminin. C’est une règle. On pourrait très simplement changer la règle. » « La question de l’écriture inclusive ne peut pas se régler d’un point de vue typographique comme on le fait avec le point médian actuellement – surtout dans les tracts militants. » « Dire ‘celles et ceux’, c’est joli, ça fait un ensemble de sifflants : ça ne me dérange pas mais ça ne me dérange pas non plus d’écrire celleux. » « L’écriture inclusive n’est pas qu’un combat féministe, c’est un combat de représentation non genrée dans la langue. » « Au Moyen-Âge, le français était beaucoup moins genré qu’il ne l’est aujourd’hui. » « La langue française s’est genrée au cours de son histoire et nous pouvons aujourd’hui commencer à la dégenrer. »
Sur la définition de la littérature « Nous avons en France, le prix unique du livre (…). Le livre reste dans une approche démocratique. » « Un éditeur ne vend pas plus cher un bon écrivain qu’un mauvais. » « Les gens achètent des livres mais ne les lisent pas. Un livre, c’est l’acte de lire. » « On ne peut pas essentialiser la littérature dans l’idée d’un combat contre ceci ou contre cela. Edouard Louis reprend une posture qui est celle de Sartre, c’est-à-dire que l’écrivain doit s’engager dans son monde et sa société. Mais ce n’est qu’une des fonctions de la littérature. » « Un des gros problèmes que nous avons aujourd’hui, c’est que nous n’arrêtons pas d’essentialiser. »
Sur le public de la littérature « La littérature s’adresse à ceux qui prennent le temps de la considérer. » « Les gens ne comprennent pas ce qu’est la rentrée littéraire. » « L’objet de la rentrée littéraire est celui d’une organisation collective des éditeurs, des écrivains et des critiques – des gens qui travaillent dans la même branche – et qui décident qu’il y aura un coup de projecteur sur la littérature à ce moment-là pour qu’elle reste dans l’espace public. » « Mon travail n’est pas de juger les livres mais de faire en sorte que la littérature soit regardée comme une activité qui parle de la société et la concerne, et où l’on peut apprendre beaucoup sur la société. »
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