LES IMPOSTURES DE L’UNIVERSALISME | LOUIS-GEORGES TIN, JULIEN THÉRY
Paradoxe : en France, réputée « pays des droits de l’homme », la légitimité des mouvements antiracistes, féministes et anti-homophobes est régulièrement remise en cause depuis les années 1980. Celles et ceux qui prennent la défense des populations discriminées sont suspectés de « communautarisme » et de « séparatisme » (terme promu récemment par le Président de la République). Ces accusations sont encourues même par quiconque fait le simple constat du phénomène des féminicides ou du racisme systémique que les pratiques ordinaires de la police font subir aux Noirs et aux Arabes.
Le grand tort des militants antiracistes, féministes ou LGBT, selon leurs détracteurs, serait de remettre en cause « l’universalisme », c’est-à-dire les « les valeurs républicaines ». Dans un entretien avec Régis Meyran récemment publié aux éditions Textuel, l’ancien président du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) Louis-Georges Tin s’attaque aux “Impostures de l’universalisme” qui tiennent aujourd’hui une si grande place dans le débat public en France. Julien Théry le reçoit dans cet épisode d’« On s’autorise à penser » pour une conversation autour de cette question on-ne-peut-plus d’actualité. Si le terme « universalisme » a été lancé à la fin des années 1980, en particulier pour combattre la politisation d’un mouvement comme SOS Racisme au moment où ce dernier tentait d’échapper à l’instrumentalisation par le Parti socialiste, l’idée que le modèle et les valeurs de la société bourgeoise française sont supérieures et doivent être imposées est aussi vieille que la colonisation.
Louis-Georges Tin rappelle que la conviction explicitement formulée par Jules Ferry que les « races supérieures » avaient « le droit et le devoir » de « civiliser les races inférieures » est aux origines des immenses crimes de la colonisation. Il souligne aussi à quel point le mythe national de l’universalisme soutient en France, depuis très longtemps, une culture de la violence hégémonique et de la centralisation uniformisatrice au profit de la domination d’un petit nombre. Face à la tentation, qui est celle d’une partie de la gauche, de hiérarchiser les combats en faisant passer ceux des minorités après la question sociale (pensée exclusivement en terme de lutte des classes), Louis-Georges Tin souligne la nécessité de l’intersectionnalité.
Cette notion, élaborée par la sociologue états-unienne Kimberley Crenshaw, permet de penser l’enchevêtrement des dominations et la relativité des positions individuelles (on peut être dominé.e en tant que femme ou homosexuel et dominant.e en tant que Blanc.he et bourgeois.e, par exemple). Ainsi peut-on espérer échapper à l’instrumentalisation d’un pseudo-universalisme qui n’est qu’uniformité imposée au profit des pouvoirs en place.
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