Laurent Mucchielli : « Ce n’est pas les citoyens qui doivent être laïcs, c’est l’Etat »
Le gouvernement a-t-il cédé à la panique morale ? C’est la thèse du sociologue Laurent Mucchielli qui publie “La France telle qu’elle est : pour en finir avec la complainte nationalistes”, aux Éditions Fayard. Il est l’invité de #LaMidinale.
Sur terrorisme et complicité intellectuelle
« Je me sens visé comme beaucoup de chercheurs en sciences sociales [par les accusations de Darmanin]. On connait leur phrase sur expliquer c’est déjà excuser. » « Notre boulot de sociologues c’est de comprendre comment fonctionne la société. » « On prend comme point d’appui un fait divers. Aussi dramatique soit-il, ça n’est qu’un fait divers. » « C’est un fait divers d’attentat. C’est un fait isolé. » « Il y a discordance entre une réalité factuelle, un acte criminel factuel – auquel il faut chercher des raisons factuelles – et il y a par ailleurs, la société française, son histoire et son future, c’est une autre dimension. Je critique le fait de superposer ces deux dimensions, de scruter dans une histoire individuel – qui n’a qu’un intérêt finalement que limité – de scruter à travers ça le destin de toute la société, de la civilisation ou que sais-je. » « Il y a un phénomène de surenchère : on assiste à un concours de celui ou celle qui va dire la chose la plus grave, la plus lourde avec les mots qui pèsent le plus. Ça me parait totalement disproportionné. »
Sur les préjugés qui nourrissent le débat public
« Il faut rappeler que l’affaire du foulard a commencé il y a 31 ans. 31 ans qu’on nous bassine avec cette histoire. » « On fait du hijab ou du burkini une affaire nationale. Systématiquement, des trucs qui sont très minoritaires qui pour la plupart relèvent de la liberté individuelle, où dans d’autres pays laïcs on se fiche totalement, en France, à chaque fois, on en fait un psychodrame national. C’est ce qui m’interpelle le plus et c’est pour ça que j’ai écrit ce livre [La France telle qu’elle est – Fayard]. » « Il y a une chose qui est très facile à voir c’est l’idéologie nationaliste raciste : elle se renouvelle, prend des formes différentes et se veut un peu moins virulente ici ou là. » « Le nationalisme conduit toujours, fatalement, au racisme. » « Le bon vieux racisme anti-maghrébin devient le nouveau racisme anti-musulman. On a changé un mot pour un autre mais ce sont les mêmes structures de pensées. » « Il y a un autre mythe qui structure notre roman national et qui est plus typiquement français : c’est le mythe laïciste. » « La France a raté sa décolonisation. » « La machine à intégrer la main d’oeuvre peu ou pas qualifiée s’est cassée avec la crise industrielle et l’arrivée du chômage de masse (…). Les dernières générations se sont retrouvées bloquées dans ces nouveaux quartiers qu’on avait construit pour ces populations ouvrières, à proximité des industries c’est-à-dire les banlieues ou grands ensembles de l’époque. Les racines des problèmes qu’on a aujourd’hui viennent de là. »
Sur l’Etat de droit
« Il y a une fâcheuse tendance en France à prendre des mesures d’exception qui pour certaines d’entre elles se banalisent en rentrant dans le droit commun. » « On assiste à la rencontre dans le débat public de la problématique sanitaire avec la problématique sécuritaire. On peut craindre que l’addition de ces deux problématiques donne une puissance encore supérieure à d’habitude à toutes les atteintes aux libertés individuelles et collectives qui caractérisent ces situations dites d’urgence. » « Si on est en régime d’exception absolue à la fois pour cause sécuritaire et sanitaire, on voit bien comment toutes les formes de contestation peuvent être tuées dans l’oeuf. » « Il y a une forme d’exagération [quand on parle de la possibilité d’une guerre civile] qui fait partie de ces formes de dramatisation du débat. Les gens qui disent ça, quelles que soient leurs intentions, participent à la même panique en perdant leur sang froid. » « La réalité telle que je la vois, c’est une majorité de gens qui sont en colère mais passifs, désespérés plutôt de ce qu’ils observent de la façon dont ils sont gouvernés et informés. » « Il y a dans le débat public des exagérations catastrophistes destinées à faire peur. »
Sur la laïcité
« On fait de la loi sur la laïcité un symbole, un épouvantail, un argument d’autorité. » « La laïcité c’est la neutralité religieuse de l’Etat, ça n’est pas l’athéisme de la population. » « C’est pas les citoyens qui doivent être laïcs, c’est l’Etat. » « C’est pas les élèves ou les parents d’élèves qui doivent être laïcs, c’est les enseignants, les représentants de l’Etat, les fonctionnaires. » « Si le cadre est bien clair pour tout le monde, il n’y aurait presque plus de problème. » « On se prend la tête sur des questions qui sont à fait secondaires. Le problème est archi-minoritaire. »
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